sabÿn
Les Liqueurs I
polaroid numérisé, matériaux et substances maraboutés, 2012
La chose du corps (mon imaginaire anthropologique du corps)
Je suis hantée par le corps, ce qu’il est au monde-flux aux prises avec le temps, la prégnance du mourir. C’est entrevoir par-delà l’agencement formel de l’œuvre – le corps est-il une œuvre ? – cette anarchie des fluides et ce que travaille, déplace, dilue l’incarnation en mon être. C’est aller au corps comme contenant psychique : ventre de chair, sac de peau ; en cette panse, l’instabilité entropique des flux, la circulation des humeurs, ce qui s’agite en l’estomac, dans les ovaires, les intestins, lent processus digestif, gestatif, sourds battements du cœur et du sang en mes veines, turbulences anarchiques ou régulées, machineries des poumons et tant d’autres vaisseaux organiques.
Du corps, je retiens cette ample machinerie et ses confins-orifices qu’ils soient ostensibles ou ténus – pores de la peau, respiration tissulaire –, et desquels sourdent les substances sécrétoires. C’est avec cela que je travaille, perdue en cet imaginaire organique et chimérique à la fois, que le corpus hippocratique, Le Latin mystique de Rémy de Gourmont, Les Origines de la pensée européenne de Richard Broxton Onians, l’œuvre de Georges Bataille, de Piero Camporesi, de Georges Didi-Huberman et de bien d’autres auteurs ont constellé de rêves étranges : chose du corps et aléas de l’âme. Mais aux visions ostensibles d’une chair que le christianisme stigmatise dans l’outrance, j’appose également la pérennité du flux, ce fleuve ancien dont Héraclite est le sourcier magnifique : panta rhei, phusis, « branloire pérenne » (1), et vieilles lunes...
Note
(1) Montaigne, Du repentir




